« L’électrique est la prochaine phase »
Pour l’édition du Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace (SIAE) qui s’est tenue du 21 au 27 juin 2019 à Paris, les avions électriques et hybrides ont éclipsé tous les autres. D’après Quartz, les visiteurs-euses du plus grand événement aérospatial du monde en ont été témoins : la compagnie aérienne Cape Air sera le premier acquéreur d’Alice, avion électrique conçu par la start-up israélienne Eviation Aircraft Ltd. D’une valeur de 4 millions de dollars, Alice est le premier avion commercial de transport de passagers entièrement électrique.
Cape Air est une compagnie régionale du Massachusetts qui propose quotidiennement des centaines de vols commerciaux courts. Avec une flotte de 92 avions, elle transporte autour de 500 000 personnes par an, ce qui fait d’elle l’une des compagnies aériennes régionales les plus importantes des États-Unis.
Le type de vols effectués par la compagnie correspond parfaitement aux capacités de l’appareil. En effet, celui-ci peut parcourir un peu plus de 1000 km à une vitesse de 805 km/h grâce à trois moteurs électriques placés sur la queue et aux extrémités des ailes. Le prototype présenté compte une batterie lithium-ion de 900 kWh, qui est au passage neuf fois plus grande que la batterie des voitures de Tesla. Selon CNN, sa fabrication devrait commencer cette année.
Pour une aviation durable
L’augmentation des investissements dans l’aviation électrique s’explique tout d’abord par un facteur principal qui a mis tout le monde d’accord, depuis les écologistes jusqu’aux spécialistes des technologies (semblables à celles développées dans la Silicon Valley). Grâce à l’électrique, les avions seront plus respectueux de l’environnement que les conceptions traditionnelles.
Actuellement, l’industrie aéronautique produit jusqu’à 3 % des émissions de dioxyde de carbone (CO2) globales. Si les pays veulent respecter leurs engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique, ils doivent ainsi prendre ce problème à bras-le-corps. Dans un article du 18 janvier 2018, le Guardian indique que des pays comme la Norvège et la Suède ont par exemple déjà annoncé qu’ils allaient faire passer tous leurs vols commerciaux intérieurs à l’électricité d’ici 2040.
Outre les émissions de carbone, des scientifiques ont établi dans un article publié en 2011 dans Nature que les traînées de condensation produites par les avions ont également un impact sur la température de l’atmosphère. En effet, l’aviation commerciale circule dans les parties supérieures de la troposphère (soit la couche de l’atmosphère terrestre qui va de la surface jusqu’à une altitude de 8 à 15 km). Ces traînées de condensations peuvent parfois être persistantes et s’apparentent alors à des nuages. Cela signifie que davantage de chaleur est retenue au sol, ce qui augmente le réchauffement climatique. De plus, dans une étude publiée le 27 juin 2019 dans la revue scientifique Atmospheric Chemistry and Physics, des chercheurs-euses ont découvert que le réchauffement causé par les traînées de condensation pourrait être trois fois supérieur à celui de 2006 en 2050.
Face à l’urgence, des compagnies comme EasyJet ont déjà annoncé leur engagement. La compagnie low cost britannique a réaffirmé le 28 juin dernier qu’elle ferait équipe avec la start-up américaine Wright Electric pour construire des avions électriques pour des distances inférieures à 480 kilomètres. « Il existe une demande énorme pour une aviation à émissions réduites de la part des consommateurs, mais également des compagnies aériennes », précise le PDG de Wright Electric, Jeff Engler. « Une consommation de carburant réduite signifie également une réduction des coûts. » Avec cet avion, EasyJet espère réduire d’environ 30 % les coûts en énergie des appareils.
« Et en se basant sur notre réseau actuel, la liaison Amsterdam-Londres pourrait devenir la première ligne entièrement électrique », explique son PDG Johan Lundgren. « Étant donné qu’il s’agit de la 2e route aérienne la plus fréquentée d’Europe, cela permettrait une réduction significative des émissions carbone et de la pollution sonore. » La compagnie EasyJet a également déclaré qu’elle lancerait son exploitation commerciale en 2030.
Supersonique mais silencieux
L’avion du futur aussi plus rapide que jamais. Cette fois-ci, Lockheed Martin Aeronautics est sur le coup, rapportait The Independent au mois de juin. Leur jet supersonique, le Quiet Supersonic Technology Airliner, volera à une vitesse de 2 223 km/h et pourra ainsi rallier New York depuis Londres en quatre heures seulement au lieu de sept.
De plus, l’avion n’émettra pas ce bang si caractéristique d’un appareil qui dépasse la vitesse du son. Cela lui permettra de se couler silencieusement dans le ciel et par la même occasion d’avoir moins de restriction de vol comme c’était le cas à l’époque pour le bruyant Concorde.
De la même manière, Boeing a dévoilé en juillet 2018 un aperçu d’un avion hypersonique hors norme, pouvant voler à plus de cinq fois la vitesse du son (soit 6 174 km/h). Destiné essentiellement au transport de passagers d’après Le Figaro, cet appareil devrait toutefois mettre « 20 ou 30 ans à conquérir le ciel ». Il laisse néanmoins chacun-e songeur-euse à l’idée de pouvoir faire un Paris-New York en deux heures.
Plus de fenêtres
Mais le projet le plus fou est assurément l’avion expérimental commandé par la NASA à Lockheed Martin. Le X-59 QueSST sera lui aussi un avion supersonique et silencieux, mais l’Agence spatiale américaine a tant poli son aérodynamisme qu’il ne sera doté d’aucune fenêtre. À défaut de vue sur l’extérieur, son cockpit sera pourvu d’un écran 4K retransmettant le flux de deux caméras placées sur la coque de l’appareil. Le système a été baptisé eXternal Visibility System, ou XVS, et l’ensemble du projet tient dans une enveloppe de 247 millions de dollars, soit près de 220 millions d’euros.
Compte tenu du temps que les pilotes passent à s’entraîner dans des simulateurs, le passage d’une fenêtre à un écran 4K ne les dépaysera pas trop. On compte sur Lockheed Martin pour trouver un moyen infaillible de se prémunir en cas de rencontre inopinée avec un oiseau…
La NASA et Lockheed Martin en sont encore à la phase de construction, et certaines pièces de l’appareil demandent encore à être designées. Cependant, le contrat prévoit un premier vol pour 2021, donc l’attente ne sera pas démesurément longue avant de voir le futur se matérialiser sous nos yeux.
Economie et défi
En 2018, la facture du carburant pour l’industrie mondiale du transport aérien s’élevait à 180 milliards de dollars (soit plus de 158 milliards d’euros) et elle devrait atteindre les 206 milliards cette année (soit plus de 181 milliards d’euros), rappelle en substance CNBC, ajoutant que cela représenterait le quart des dépenses d’exploitation des compagnies aériennes.
Pour Omer Bar-Yohay, le développement d’avions électriques se base ainsi également sur des avantages économiques. Présent au Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace, l’homme est le PDG d’Eviation. « L’utilisation d’Alice coûtera 200 dollars par heure de vol, soit une fraction de ce que coûte un avion de performance similaire et de taille similaire, et c’est la raison pour laquelle nous avons créé la société », explique-t-il.
Il reste toutefois un certain nombre de défis. Le développement de gros avions 100 % électriques est pour l’instant compromis, car les batteries actuelles n’ont pas la puissance nécessaire. Alice, par exemple, ne peut pour l’instant transporter que neuf passagers et deux membres d’équipage, sur une distance maximale de 1000 km. En effet, les batteries ne sont pour l’instant pas capables de stocker autant d’énergie que le carburant liquide. Quand on sait que les avions les plus utilisés des vols commerciaux courts (comme le A320 par exemple) peuvent accueillir plus de 100 personnes et voler durant 1600 km, on est encore loin du compte.
En attendant, l’hybride
Si le 100 % électrique est pour l’instant un rêve inaccessible, les grands constructeurs se sont lancés à toute allure dans la technologie hybride. Le 17 juin, le leader mondial de l’aéronautique Airbus a annoncé s’allier avec les sociétés aérospatiales Safran et Daher dans ce but. Le premier fournira un système de propulsion nommé EcoPulse, quand le second se chargera de l’installation des systèmes et des composants. Airbus s’occupera quant à lui de la conception aérodynamique et des batteries. Le premier vol est prévu « à l’horizon 2022 ».
Le Français se montre toutefois confiant et n’oublie pas ses rêves de tout électrique. « Ce démonstrateur à propulsion hybride distribuée est une étape très importante afin de préparer les standards de certification d’un avion plus électrique », indique Jean-Brice Dumont, directeur de l’ingénierie d’Airbus. « Il nous permet également d’améliorer nos modèles de simulation pour envisager une utilisation sur de plus gros appareils. »
Des start-ups se sont également lancées dans l’aventure électrique afin de réduire la consommation de carburant. Basé à Los Angeles, l’américain Ampaire travaille également sur un petit avion hybride, un Cessna 337 modifié qu’elle entend bien commercialiser dès 2021. Le 6 juin dernier, l’Ampaire 337 a d’ailleurs volé pour la première fois avec un mécanicien et un pilote à son bord. Si son appareil est capable de porter six personnes, Ampaire n’a pas décrit l’autonomie de son appareil.
« Tout le monde dit que cela va arriver et que la question est de savoir quand », explique Gary Smith, responsable de l’ingénierie d’EasyJet. « Je viens d’un temps où les avions électriques étaient impossibles, mais nous avons maintenant franchi un cap. »